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MÉDITATIONS


Ici gît… Point de nom ! demandez à la terre !
Ce nom, il est inscrit en sanglant caractère
Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar,
Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves,
Et jusque dans le cœur de ces troupeaux d’esclaves

Qu’il foulait tremblants sous son char.


Depuis les deux grands noms qu’un siècle au siècle annonce,
Jamais nom qu’ici-bas toute langue prononce
Sur l’aile de la foudre aussi loin ne vola ;
Jamais d’aucun mortel le pied qu’un souffle efface
N’imprima sur la terre une plus forte trace :

Et ce pied s’est arrêté là…


Il est là !… Sous trois pas un enfant le mesure !
Son ombre ne rend pas même un léger murmure :
Le pied d’un ennemi foule en paix son cercueil.
Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne,
Et son ombre n’entend que le bruit monotone

D’une vague contre un écueil.


Ne crains pas cependant, ombre encore inquiète,
Que je vienne outrager ta majesté muette.
Non ! La lyre aux tombeaux n’a jamais insulté :
La mort de tout temps fut l’asile de la gloire.
Rien ne doit jusqu’ici poursuivre une mémoire ;

Rien… excepté la vérité !


Ta tombe et ton berceau sont couverts d’un nuage.
Mais, pareil à l’éclair, tu sortis d’un orage ;
Tu foudroyas le monde avant d’avoir un nom :
Tel ce Nil, dont Memphis boit les vagues fécondes,
Avant d’être nommé fait bouillonner ses ondes

Aux solitudes de Memnon.