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DES DESTINÉES

qu’il y a de vie intérieure et de force de sentiment dans sa double organisation. La prose ne s’adresse qu’à l’idée, le vers parle et l’idée et à la sensation tout à la fois. Cette langue, toute mystérieuse, tout instinctive qu’elle soit, ou plutôt par cela même qu’elle est instinctive et mystérieuse, cette langue ne mourra jamais ! Elle n’est point, comme on n’a cessé de le dire, malgré les démentis successifs de toutes les époques, elle n’est pas seulement la langue de l’enfance des peuples, le balbutiement de l’intelligence humaine ; elle est la langue de tous les âges de l’humanité, naïve et simple au berceau des nations, conteuse et merveilleuse comme la nourrice au chevet de l’enfant, amoureuse et pastorale chez les peuples jeunes et pasteurs, guerrière et épique chez les hordes guerrières et conquérantes ; mystique, lyrique, prophétique ou sentencieuse dans les théocraties de l’Égypte ou de la Judée ; grave, philosophique et corruptrice dans les civilisations avancées de Rome, de Florence ou de Louis XIV ; échevelée et hurlante aux époques de convulsions et de ruines, comme en 93 ; neuve, mélancolique, incertaine, timide et audacieuse tout à la fois, aux jours de renaissance et de reconstruction sociale comme aujourd’hui ! plus tard, à la vieillesse des peuples, triste, sombre, gémissante et découragée comme eux, et respirant à la fois dans ses strophes les pressentiments lugubres, les rêves fantastiques des dernières catastrophes du monde, et les fermes et divines espérances d’une résurrection de l’humanité sous une autre forme : voilà la poésie. C’est l’homme même, c’est l’instinct de toutes ses époques, c’est l’écho intérieur de toutes ses impressions humaines, c’est la voix de l’humanité pensant et sentant, résumée et modulée par certains hommes plus hommes que le vulgaire, mens divinior, et qui plane sur ce bruit tumultueux et confus des générations et dure après elles, et qui rend témoignage à la postérité de leurs gémissements ou de leurs joies, de leurs