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s’approcha du roi et lui dit : « Si vous aimez le peuple, buvez à sa santé ! » Les personnes qui entouraient le prince, craignant le poison autant que le poignard, conjurèrent le roi de ne pas boire. Louis XVI tendit le bras, prit la bouteille, l’éleva à ses lèvres et but à la nation ! Cette familiarité avec la foule, représentée par un mendiant, acheva de populariser le roi. De nouveaux cris de : « Vive le roi ! » partirent de toutes les bouches et se propagèrent jusque sur les escaliers ; ces cris allèrent consterner, sur la terrasse du jardin, les groupes qui attendaient une victime et qui apprenaient un attendrissement des bourreaux.


XXII

Pendant que l’infortuné prince se débattait ainsi seul contre un peuple entier, la reine subissait dans une salle voisine les mêmes outrages et les mêmes caprices. Plus redoutée que le roi, elle courait plus de dangers. Les nations agitées ont besoin de personnifier leur haine comme leur amour. Marie-Antoinette représentait à la fois aux yeux du peuple trompé toutes les corruptions des cours, tout l’orgueil du despotisme, toutes les scélératesses de la trahison. Sa beauté, sa jeunesse, la sensibilité de son cœur changée en débordements par la calomnie, le sang de la maison d’Autriche, sa fierté, qu’elle tenait de la nature plus encore que de ce sang ; ses rapports avec le comte d’Artois, ses complots avec les émigrés, sa complicité présumée avec la