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XXX

Accablé de cette inspiration sublime, il s’endormit la tête sur son instrument, et ne se réveilla qu’au jour. Les chants de la nuit lui remontèrent avec peine dans la mémoire comme les impressions d’un rêve. Il les écrivit, les nota, et courut chez Dietrich. Il le trouva dans son jardin, bêchant de ses propres mains des laitues d’hiver. La femme du maire patriote n’était pas encore levée. Dietrich l’éveilla ; il appela quelques amis, tous passionnés comme lui pour la musique, et capables d’exécuter la composition de de Lisle. Une des jeunes filles accompagnait. Rouget chanta. À la première strophe les visages pâlirent, à la seconde les larmes coulèrent, aux dernières le délire de l’enthousiasme éclata. Dietrich, sa femme, le jeune officier, se jetèrent en pleurant dans les bras les uns des autres. L’hymne de la patrie était trouvé ! hélas ! il devait être aussi l’hymne de la terreur. L’infortuné Dietrich marcha peu de mois après à l’échafaud, aux sons de ces notes nées à son foyer du cœur de son ami et de la voix de sa femme.

Le nouveau chant, exécuté quelques jours après à Strasbourg, vola de ville en ville sur tous les orchestres populaires. Marseille l’adopta pour être chanté au commencement et à la fin des séances de ses clubs. Les Marseillais le répandirent en France en le chantant sur leur route. De là lui vint le nom de Marseillaise. La vieille mère de de Lisle,