Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/425

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du château, entendaient ces cris, voyaient ces gestes sans donner aucun signe d’émotion. La discipline et l’honneur semblaient pétrifier ces soldats. Leurs sentinelles placées sous la voûte du péristyle passaient et repassaient à pas mesurés, comme si elles eussent monté leur garde dans les cours désertes et silencieuses de Versailles. Chaque fois que cette promenade alternative du soldat en faction le ramenait du côté des cours et en vue du peuple, la foule intimidée se repliait sur les Marseillais ; elle revenait ensuite vers le château, quand les Suisses disparaissaient sous le vestibule. Cependant cette multitude s’aguerrissait peu à peu et se rapprochait toujours davantage. Une cinquantaine d’hommes des faubourgs et des fédérés finirent par s’avancer jusqu’au pied du grand escalier. Les Suisses replièrent leur poste sur le palier et sur les marches séparées du péristyle par une barrière en bois. Ils laissèrent seulement une sentinelle en dehors de cette barrière. Le factionnaire avait ordre de ne pas faire feu, quelle que fût l’insulte. Sa patience devait tout subir. Le sang ne devait pas couler d’un hasard. Cette longanimité des Suisses encouragea les assaillants. Le combat commença par un jeu : le rire préluda à la mort. Des hommes du peuple, armés de longues hallebardes à lames recourbées, s’approchèrent du factionnaire, l’accrochèrent par son uniforme ou par son ceinturon avec le crochet de leur pique, et, l’attirant de force à eux aux bruyants éclats de joie de la foule, le désarmèrent et le firent prisonnier. Cinq fois les Suisses renouvelèrent leur sentinelle ; cinq fois le peuple s’en empara ainsi. Les bruyantes acclamations des vainqueurs et la vue de ces cinq Suisses désarmés encourageant la foule qui hésitait jusque-là au milieu de la cour, elle se précipita en masse