Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/432

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nation de leur physionomie ce qui pouvait se cacher de joie secrète dans leur cœur ; ils s’observaient devant leurs ennemis ; ils s’observaient devant Dieu lui-même, qui leur aurait reproché de se réjouir du sang versé. Leurs traits étaient muets, leurs cœurs fermés, leurs pensées suspendues au bruit extérieur. Ils écoutaient, pâles et en silence, éclater leur destinée dans ces coups.

Les coups de canon redoublent ; le bruit de la mousqueterie semble se rapprocher et grossir ; les vitraux tintent comme si le vent des boulets les faisait frémir en passant sur la salle ; les tribunes s’agitent et poussent des cris d’effroi et d’horreur. Une expression générale de colère et de solennelle intrépidité se répand sur les figures des députés ; ils prêtent l’oreille au bruit et regardent avec indignation le roi. Vergniaud, triste, muet, et calme comme le patriotisme, se couvre en signe de deuil. À ce geste, qui traduit la pensée publique par un signe, les députés se lèvent sous une impression électrique, et, sans tumulte, sans vains discours, ils profèrent d’une seule voix le cri de : « Vive la nation ! » Le roi se lève à son tour et annonce à l’Assemblée qu’il vient d’envoyer aux Suisses l’ordre de cesser le feu et de rentrer dans leurs casernes. M. d’Hervilly sort pour aller porter cet ordre au château. Les députés se rassoient et attendent quelques minutes en silence l’effet de l’ordre du roi.

Tout à coup des décharges de mousqueterie plus rapprochées éclatent sur la salle. Ce sont les feux de bataillon des gardes nationaux de la terrasse des Feuillants qui tirent sur la colonne de M. de Salis. Des voix s’écrient dans les tribunes que les Suisses vainqueurs sont aux portes et viennent égorger la représentation nationale. On entend des