Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 11.djvu/155

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sa position. Profitant, heure par heure, des lenteurs de son ennemi, il faisait sonner le tocsin dans tous les villages qui couvrent les deux revers de la forêt d’Argonne, s’efforçait d’exciter dans les habitants l’enthousiasme de la patrie, faisait rompre les ponts et les chemins par lesquels l’ennemi devait l’aborder, et abattre les arbres pour palissader les moindres passages. Mais la prise de Longwy et de Verdun, les intelligences des gentilshommes du pays avec les corps d’émigrés, la haine de la Révolution et la masse disproportionnée de l’armée coalisée, décourageaient la résistance. Dumouriez, abandonné à lui-même par les habitants, ne pouvait compter que sur ses régiments. Les bataillons de volontaires qui arrivaient lentement de Paris et des départements, et qui s’organisaient à Châlons, n’apportaient avec eux que l’inexpérience, l’indiscipline et la panique. Dumouriez craignait plus qu’il ne désirait de pareils auxiliaires. Son seul espoir était dans sa jonction avec l’armée que Kellermann, successeur de Luckner, lui amenait de Metz. Si cette jonction pouvait s’opérer derrière la forêt d’Argonne avant que les troupes du duc de Brunswick eussent forcé ce rempart naturel, Kellermann et Dumouriez, réunissant leurs forces, pouvaient opposer une masse de quarante-cinq mille combattants aux quatre-vingt-dix mille coalisés, et jouer, avec quelque espoir, le sort de la France dans une bataille.

Kellermann, digne de comprendre et de seconder cette grande pensée, servait sans jalousie le dessein de Dumouriez ; satisfait de sa part de gloire, pourvu que la patrie fût sauvée. Il se portait obliquement de Metz à l’extrémité de l’Argonne, avertissant Dumouriez de tous les pas qu’il faisait vers lui. Mais l’intelligence supérieure qui éclairait ces