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pèse ni un intérêt contre une idée, ni une vie contre un principe. Brissot, Gensonné, Guadet, ne furent que des discoureurs quelquefois sublimes, toujours impuissants. Ils n’eurent pas de but arrêté, ou ils placèrent ce but toujours trop loin ou trop près. Ils donnèrent à la Révolution des impulsions tour à tour trop faibles et trop fortes, qui les arrêtèrent en deçà ou les lancèrent au delà de leur pensée. Ils voulaient un pouvoir et ils le sapaient, ils craignaient l’anarchie et ils la conspiraient, ils voulaient la république et ils l’ajournaient. La nation s’impatienta de leur indécision, qui la perdait ; elle fit sa journée et ils disparurent.

Au 10 août, le peuple fut plus homme d’État que ses chefs. Une crise était inévitable, car tout périssait dans les mains de ces législateurs qui voulaient le mouvement sans secousse, la liberté sans sacrifice, la monarchie sans royauté, la république sans hésitation, la Révolution sans garantie, la force du peuple sans son intervention, le patriotisme sans cette fièvre de l’enthousiasme qui donne aux nations le délire et la force du désespoir. Un peuple ne pouvait pas laisser sans démence durer et empirer un tel état de contradictions. La France était en perdition. L’Assemblée ne prenait pas le gouvernail. Le peuple s’y précipita avec ce génie de la circonstance et cette témérité de résolution qui risquent tout pour sauver quand tout est inévitablement perdu. Le mécanisme de la constitution ne fonctionnait plus. Un éclair de conviction lui démontra qu’on ne pouvait plus le réparer. Il le brisa ; ce fut le 10 août.

Les larmes, le sang, les crimes de cette journée ne retombèrent pas tant sur le peuple qui la fit que sur l’Assemblée qui la rendit inévitable. Si l’Assemblée législative avait eu l’intelligence tout entière, si elle avait pris la dicta-