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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 11.djvu/86

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XXII

Les rapports de la police municipale, apportés d’heure en heure à la mairie, ne se taisaient pas sur les choses, les hommes, les armes qu’on disposait pour l’événement. Comment ce qui était connu aux prisons fût-il resté inconnu à l’hôtel de ville ? L’acte accompli, tout le monde s’est lavé du sang. Après l’avoir rejeté longtemps sur un mouvement soudain et irrésistible de la colère du peuple, on a voulu circonscrire le crime dans le plus petit nombre possible d’exécuteurs. L’histoire n’a pas de ces complaisances. La pensée en appartient à Marat, l’acceptation et la responsabilité à Danton, l’exécution au conseil de surveillance, la complicité à plusieurs, la lâche tolérance à presque tous. Les plus courageux, sentant leur impuissance à retenir l’assassinat, feignirent de l’ignorer, pour n’avoir ni à l’approuver ni a le prévenir. Ils s’écartèrent, ils gémirent, ils se turent. Pour la garde nationale, pour l’Assemblée, pour le conseil général de la commune, ce fut un crime de réticence. On détourna les yeux pendant qu’il se commettait. On ne l’exécra tout haut qu’après. Dans l’âme de Marat ce fut soif du sang, remède suprême d’une société qu’il voulait tuer pour la ressusciter selon ses rêves ; dans l’esprit de Danton ce fut un coup d’État de la politique. Danton raisonnait son crime avant de l’ordonner. Il lui était aussi facile de l’empêcher que de le permettre. Il s’en déguisa à lui-même