Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/151

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Pour arracher ce trait du cœur de Daïdha,
Sous ses yeux vigilants le vieillard la garda ;
Il sépara Cédar de la tribu jalouse,
L’éloigna pour jamais de l’ombre de l’épouse ;
Pour paître sur les monts les plus maigres troupeaux,
On le relégua seul sur de mornes coteaux
Dévorés du soleil, et séparés du monde
Par des rocs escarpés et par le lit de l’onde ;
Et de peur que l’esclave en ces lieux oublié
Ne rompît les trois jougs dont il était lié,
Et, de son dur exil franchissant la limite,
Ne s’approchât des bords que son tyran habite,
Zebdor et ses trois fils arrachèrent du sol
Un vieux tronc de palmier ouvert en parasol,
Et, comme on lie un bloc au coursier qu’on entrave,
Attachèrent ce poids aux jambes de l’esclave ;
De sorte qu’en traînant avec effort ses pas,
L’arbre suivait sa trace et ne le quittait pas,
Ou que, pour traverser l’onde ou le précipice,
Il devait soulever l’instrument du supplice,
Et, pressant dans ses bras le palmier oppresseur,
Écrasé sous ce poids marcher à sa sueur.

Ainsi languissait-il de longs jours, seul au monde.
Mais la nuit de l’amour avait été féconde :
L’épouse d’un instant, que la honte et le deuil
Renfermaient dans son antre ainsi qu’en son cercueil,
Se couvrant de pudeur comme d’un triple voile,
Ne laissait voir ses yeux qu’aux rayons de l’étoile.