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Que le pauvre Cédar eût donné de son sang
Pour le ressusciter sous son souffle impuissant !
Quel flot amer coula de leur œil taciturne !
Que Daïdha maudit la méprise nocturne !
Cherchant à ranimer en vain les membres froids,
Sur les longs poils combien ils passèrent leurs doigts !
Notre cœur souffre tant de perdre qui nous aime !
Mais le punir d’aimer ! mais le tuer soi-même !
Pour le cœur des mortels l’amour est un tel bien,
Qu’il ne peut sans saigner perdre celui d’un chien !
Ils creusèrent sa tombe au pied d’un sycomore ;
Leurs yeux en le quittant s’y détournaient encore.
D’un nom cher et funèbre ils nommèrent ce lieu,
Et ce jour fut pour eux morne comme un adieu !


Déjà douze soleils avaient doré les nues,
Depuis qu’ils avançaient aux plages inconnues ;
Ils étaient descendus sur les bords de la mer ;
Ils avaient de ses flots goûté le sel amer,
Et, perdant leurs regards sur ce grand désert d’onde,
Pris ce fleuve sans bord pour la rive du monde.
Ils suivaient ce rivage aux gracieux contours
Où Tyr mille ans après se couronna de tours ;
Les vagues se jouaient sur son cap solitaire,
Comme avant la moisson de blancs agneaux sur l’aire ;
Les deux amants foulaient, ignorants, sous leurs piés,
Ces germes de cités plus tard multipliés,
Sans se douter qu’un jour des peuples innombrables
Devaient au doigt de Dieu se lever de ces sables !