Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/417

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Il regardait fumer ces sinistres débris :
Un géant que la foule assiégeait à grands cris
Vint tomber aux genoux du vainqueur de sa race.
Où la force éclatait, il espérait la grâce :
« Sauve-moi, cria-t-il, de ce peuple assassin ! »
Cédar lui fit contre eux un rempart de son sein ;
Du géant sans défense il protégea la vie :
Le peuple abandonna sa victoire ravie,
Tel qu’à la voix de l’homme un tigre rugissant
Qui laisse et qui regrette une goutte de sang.
Mais Cédar indigné, les réprimant du geste,
Des géants poursuivis préserva quelque reste.
« Qui de vous, disait-il en détournant les yeux,
Du maître ou de l’esclave, est le plus odieux ?
Oh ! fuyons, Daïdha, ces races de vipères !
Emportons nos enfants aux forêts de nos pères !
N’est-il donc plus un juste au fond des nations ? »
Et Daïdha pleurant lui répondit : « Fuyons ! »

Au sommet de la tour qui leur servait d’asile,
Les géants consternés regardant sur la ville,
Voyant cette pitié d’un vainqueur généreux,
Comprirent leur salut et parlèrent entre eux.
Dans ce monde pétri de mal et d’artifice,
Chaque vertu du juste est une arme du vice.
Quand l’incendie éteint languit sans aliment,
Et que l’épaisse nuit couvrit le firmament,
L’un d’eux par une corde aux créneaux suspendue,
Et du poids de son corps jusqu’aux fossés tendue,