Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/426

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Où, comme la brebis au tournant des saisons,
L’âme se sent pousser de nouvelles toisons,
Et, de ce lac de joie où Dieu l’a retrempée,
Sort sans se souvenir de sa toison coupée !
Semblables à ces jours de soleil pur et clair,
Jours de printemps jetés au milieu de l’hiver,
Qu’au-dessus du brouillard qui ternit les campagnes
Le voyageur rencontre au sommet des montagnes,
Où le rayon du ciel chauffe comme un manteau,
Où la lumière baigne et dore le coteau,
Où du brouillard des nuits le cèdre qui s’essuie
En rosée odorante égoutte aux pieds la pluie,
Où le merle frileux siffle au bord du chemin,
Où rien ne manque au jour, hélas ! qu’un lendemain !

Ainsi dans son repos ce couple solitaire
Se sentait vers le ciel enlevé de la terre ;
Ils se laissaient bercer par leur ravissement,
Ainsi que le nageur par le flot écumant.
Leur âme, à qui la paix rendait la confiance,
Ne se fatiguait plus d’obscure prévoyance ;
Sous les regards de Dieu qui les enveloppaient,
Comme leurs membres las, leurs cœurs s’abandonnaient.
Le front devant le front et les mains enlacées,
Leurs regards mutuels s’envoyaient leurs pensées.
Des étoiles du ciel les rayons amoureux
Enviaient les coups d’œil qu’ils échangeaient entre eux.
Des brises de la nuit l’haleine parfumée
En effleurant leur bouche en était embaumée.