Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/432

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Cette gaîté semblait une insulte des cieux.
Pour y chercher secours, ils levèrent les yeux :
Une cigogne, seule, à l’aile diaprée,
Sans doute, hélas ! aussi de sa route égarée,
Comme une longue flèche à la fin de son vol,
Fendait l’air résonnant à quelques pieds du sol,
Dans ses deux pattes d’or emportant avec elle
Un de ses chers petits à l’ombre sous son aile.
L’oiseau, comme étonné de l’aspect des humains,
S’approcha d’eux ; Cédar éleva 1es deux mains
Comme pour arrêter cet ami dans sa course,
Et conjurer l’oiseau de lui montrer la source.
Le fort vent de son vol effleura ses cheveux ;
Mais l’oiseau s’éloigna sans entendre ses vœux.
Ils suivirent longtemps, de colline en colline,
Son vol bas, jusqu’au bord où l’horizon décline,
Et marchèrent plus seuls quand l’oiseau disparut.
Le matin de ce jour, un des jumeaux mourut ;
L’autre mourut le soir. Faux sourire de joie
Qui finit en sanglots et qu’une larme noie !
Cédar n’entendit pas mourir leurs souffles sourds :
Seulement il sentit leurs corps froids et plus lourds ;
Leurs têtes, qui pendaient au bras qui les supporte,
Battirent sur son corps comme une chose morte.
Son œil pétrifié sans pleurs les regarda,
Et, de son seul bras libre enlaçant Daïdha,
Il s’enfuit emportant ses fils morts et sa femme,
Comme un spectre emportant les trois parts de son âme,
Ou comme la victime échappée au boucher,
Qui traîne dans son sang les lambeaux de sa chair.