Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 2.djvu/142

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Plus riante et plus jeune au moment qu’il expire,
Hélas ! comme à présent tu sembles lui sourire,
Et, t’épanouissant dans toute ta beauté,
Opposer à sa mort ton immortalité !

» Quoi donc ! n’aimes-tu pas au moins celui qui t’aime ?
N’as-tu pas de pitié pour notre heure suprême ?
Ne peux-tu, dans l’instant de nos derniers adieux,
D’un nuage de deuil te voiler à mes yeux ?
Mes yeux moins tristement verraient ma dernière heure,
Si je pensais qu’en toi quelque chose me pleure ;
Que demain la clarté du céleste rayon
Viendra d’un jour plus pâle éclairer mon gazon ;
Et que les flots, les vents, et la feuille qui tombe,
Diront : « Il n’est plus là ; taisons-nous sur sa tombe. »
Mais non : tu brilleras demain comme aujourd’hui !
Ah ! si tu peux pleurer, Nature, c’est pour lui !
Jamais être, formé de poussière et de flamme,
À tes purs éléments ne mêla mieux son âme ;
Jamais esprit mortel ne comprit mieux ta voix,
Soit qu’allant respirer la sainte horreur des bois,
Mon pas mélancolique, ébranlant leurs ténèbres,
Troublât seul les échos de leurs dômes funèbres ;
Soit qu’au sommet des monts, écueils brillants de l’air,
J’entendisse rouler la foudre, et que l’éclair,
S’échappant coup sur coup dans le choc des nuages,
Brillât d’un feu sanglant comme l’œil des orages ;
Soit que, livrant ma voile aux haleines des vents,
Sillonnant de la mer les abîmes mouvants,
J’aimasse à contempler une vague écumante
Crouler sur mon esquif en ruine fumante,
Et m’emporter au loin sur son dos triomphant,
Comme un lion qui joue avec un faible enfant.