Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 2.djvu/178

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quelques-uns chargés de boulets incendiaires propagent le feu, tandis que la forteresse de Ténédos, croyant les Grecs entrés au port, canonne ses propres vaisseaux. Ceux-ci coupent leurs câbles, se pressent, se heurtent, se démâtent, arrachent mutuellement leurs bordages, ou s’échouent ; et la majeure partie ayant réussi à s’éloigner, malgré la confusion inséparable d’une semblable catastrophe, est à peine portée au large, qu’elle est assaillie par une de ces tempêtes qui rendent une mer étroite aussi terrible que dangereuse, pendant les longues nuits de novembre. Les vaisseaux voguent à l’aventure, s’abordent dans l’obscurité, et s’endommagent. Plusieurs périssent, corps et biens ; douze bricks font côte sur les plages de la Troade ; deux frégates et une corvette, abandonnées, on ne sait comment, de leurs équipages, sont emportées par les courants jusqu’aux atterrages de Paros.

» Pendant que les Turcs se débattaient au milieu des flammes, et en luttant contre les flots, les équipages des brûlots, formant un total de dix-sept hommes, assistaient tranquillement à la destruction de la flotte du sultan. Ils virent successivement sauter le vaisseau amiral, et cette Altesse tremblante se sauver à terre dans un canot, lui qui montait, quelques minutes auparavant, le plus beau navire des mers de l’Orient. Le second vaisseau s’abîma ensuite avec seize cents hommes, sans qu’il s’en sauvât que deux individus à demi brûlés, qui s’accrochèrent à des débris que la vague mugissante porta vers la plage, sur laquelle gisaient deux superbes frégates.

» Ô Ténédos ! Ténédos ! ton nom, rendu célèbre par la lyre d’Homère et de Virgile, ne peut plus être oublié, quand on parlera de la gloire des enfants des Grecs ! Le chantre des Messéniennes, Casimir Delavigne, a dit leurs douleurs et leur héroïsme ; mais qui célébrera leur triomphe, en racontant comment les bricks des Hellènes, après avoir recueilli Constantin Kanaris, Cyriaque et leurs braves, présentant leurs voiles à la tempête et naviguant sur la cime des vagues, reparurent, le 12 novembre, au port de Psara ? Les éphores, suivis d’une foule nombreuse de peuple, de soldats et de matelots, s’étaient portés à leur rencontre dès qu’on eut signalé leur approche. Mille cris de joie éclatent au moment qu’ils prennent terre. Salut au vainqueur de Ténédos ! honneur et gloire aux braves ! La patrie reconnaissante, dit le président des éphores en po-