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À M. LE COMTE D’ESGRIGNY.

paysans de ces contrées ne connaissent de mes noms que celui-là). Il n’y a que lui qui ait connu Madeleine, qui ait secoué le sorbier de la cour, qui ait rappelé les chiens des chasseurs pour leur rompre le pain de seigle devant la maison. Hélas ! que Madeleine aurait donc de plaisir à le revoir, si elle vivait ! ajouta-t-il avec un accent de regret attendri. — Oui, c’est moi, père Dutemps, lui dis-je ; donnez-moi votre main, que je la serre encore en reconnaissance des bons services que vous nous avez rendus, des bons fagots que vous nous avez brûlés, des bonnes galettes de sarrasin que vous nous avez cuites à votre feu, et de l’amitié que Madeleine, ses filles et vous, vous aviez pour notre mère et pour ses enfants ! Il y a bien longtemps de cela ; mais, voyez-vous, la mémoire dans les cœurs d’enfants, c’est comme la braise du foyer éteint pendant le jour dans la maison : cela tient la cendre chaude, et quand la nuit vient, cela se rallume dès qu’on la remue !

» Est-ce possible ? Quoi ! c’est bien vous ! reprit-il avec un étonnement qui commençait à s’apaiser. Ah ! oui, il y a bien longtemps que vous n’étiez venu au pays, qu’on ne regardait plus fumer le château, qu’on n’entendait plus aboyer les chiens là-bas dans le grand jardin sous les tours, qu’on ne voyait plus passer les chevaux blancs qui portaient des dames et des messieurs dans les chemins à travers les prés ! Ma fille me disait : « Le pays est mort ; il semble que la cloche pleure au lieu de carillonner. » On disait aussi que vous ne reviendriez jamais ; qu’il y avait eu du bruit là-bas ; qu’on vous avait nommé un des rois de la république ; et puis, qu’on avait voulu vous mettre en prison ou en exil, comme sous la Terreur. Il est venu au printemps un colporteur qui vendait des images de vous dans le pays, comme celles d’un grand de la république ; et puis il en est venu en automne qui vendaient