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À M. LE COMTE D’ESGRIGNY.

à midi, tout baisse ; au soir, tout recommence un moment, mais plus triste et plus court ; puis tout tombe et tout finit. Oh ! jamais je ne m’ennuie ; et puis, quand je commence à m’ennuyer, n’ai-je pas cela ? me dit-il en fouillant dans sa poche, et en tirant à moitié son chapelet. Je prie le bon Dieu jusqu’à ce que mes lèvres se fatiguent sur son saint nom et mes doigts sur les grains. Qui est-ce qui s’ennuierait en parlant tout le jour à son Roi, qui ne se lasse pas de l’écouter ? dit-il avec une physionomie de saint enthousiasme. Et puis la cloche de Saint-Point ne monte-t-elle pas cinq fois par jour jusqu’ici ? Elle me dit que Dieu aussi pense à moi.

» Mais l’hiver ! » lui dis-je, afin de m’instruire pour moi-même de tous ces mystères de la solitude, de la cécité et de la vieillesse.

« Oh ! l’hiver, me répondit-il, il y a le feu dans le foyer, le bruit des sabots des enfants dans la maison, les châtaignes qu’on écorce, les pois qu’on écosse, le maïs qu’on égrène, le chanvre qu’on tille : tous ces travaux n’ont pas besoin des yeux. Je travaille tout l’hiver au coin du feu en jasant avec les enfants, ou avec les chèvres et les poules qui vivent avec nous, et je me repose tout l’été. Oh ! non, le temps ne me dure pas : seulement, quelquefois je voudrais bien, comme à présent, revoir le visage de ceux qui me rencontrent sur le chemin, et que j’ai connus dans les vieux temps. Par exemple, dites-moi donc, monsieur, poursuivit-il timidement, si vous avez toujours ces longs cheveux châtains qui sortaient de dessous votre chapeau, et qui balayaient vos joues fraîches comme les joues d’une jeune fille, quand vous accompagniez votre père à la chasse, et que vous buviez une goutte de lait en passant dans le cellier de sapin de ma fille ?