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HARMONIES POÉTIQUES

l’apparence était d’un homme de trente. La candeur de l’âme conserve le corps. Son esprit était d’un enfant.

Le marquis de la Maisonfort l’avait attaché en qualité de chancelier à la légation de France. Après la mort du marquis de la Maisonfort, je l’élevai de quelques degrés dans la hiérarchie ; il avait tous les détails de l’ambassade. Nous ne tardâmes pas à nous lier d’une véritable amitié : il était botaniste, j’étais poëte ; nous nous touchions de près par cette nature qu’il étudiait et que je chantais, mais que nous aimions d’une même passion tous les deux. Il connaissait Florence bien mieux qu’un Florentin, car il n’avait pas eu autre chose à faire, pendant les trente plus belles années de sa vie, qu’à étudier cette ville de l’art. Il n’y avait pas dans la ville et dans les campagnes environnantes un site, une villa historique, un couvent, une chapelle, une statue, un tableau, qu’il n’eût visité, noté, enregistré. C’était le cicerone du siècle des Médicis, de Boccace et de Dante. Jusqu’à Alfieri et à Nicolini, il savait tout ; il était pour moi l’histoire vivante. La poussière de ces siècles et de ces galeries m’entrait ainsi par tous les pores. Il jouissait de me communiquer son patriotisme artistique pour Florence et pour les Toscans.

C’est avec lui que je visitai Vallombreuse, abbaye monumentale, grande Chartreuse de l’Italie, bâtie au sommet des Apennins, derrière un rempart de rochers, de précipices, de torrents, et de noires forêts de sapins. Cependant la beauté du ciel italien et la douceur du climat laissent à ce séjour de l’ascétisme abrité du monde un caractère habitable et même délicieux : c’est la retraite, ce n’est pas la torture des sens ; c’est la solitude, et ce n’est pas la mort. Des façades majestueuses, des portiques retentissants, des corridors hauts, larges, sonores, pavés de marbre ; des chapelles tapissées de bronze et d’or ; des appartements décents pour les étrangers ; des cellules recueillies, mais à grandes ouvertures et à grands horizons sur le ciel et sur les montagnes, pour les moines ; des pelouses peuplées de génisses et de chèvres blanches ; des colonnades végétales d’arbres à la verdure permanente ; des eaux dormantes ou jaillissantes dans les jardins ; des souffles doux et harmonieux des deux mers, qui viennent se rencontrer et se fondre sur ces hauteurs intermédiaires entre l’Adriatique et la Méditerranée, font de Vallombreuse une habitation