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HARMONIES POÉTIQUES

écumant de chaque cascade. Au-dessous, cinq ou six villas majestueuses sont assises sur des pelouses entourées de cyprès, précédées de colonnades de marbre entrevues derrière la fumée des jets d’eau ; elles dominent la plaine de Lucques d’un côté, et de l’autre elles s’adossent aux flancs ombragés des montagnes. Des chemins étroits, encaissés par les murs des poderi et par le lit des torrents, mènent en serpentant à ces villas, où les grands seigneurs de Florence, de Pise, de Lucques, et les ambassadeurs étrangers, passent dans les plaisirs les mois d’automne. J’habitais un de ces magiques séjours ; je gravissais souvent le matin les sentiers rocailleux qui mènent au sommet de ces montagnes, d’où l’on aperçoit les maremmes de Toscane et la mer de Pise. Rien n’était triste alors dans ma vie, rien vide dans mon cœur, un soleil répercuté par les cimes dorées des rochers m’enveloppait ; les ombres des cyprès et des vignes me rafraîchissaient ; l’écume des eaux courantes et leurs murmures m’entretenaient ; l’horizon des mers m’élargissait le ciel et ajoutait le sentiment de l’infini à la voluptueuse sensation des scènes rapprochées que j’avais sous les pieds ; l’amitié, l’amour, le loisir, le bonheur, m’attendaient au retour à la villa Luchesini. Je ne rencontrais sur les bords des sentiers que des spectacles de vie pastorale, de félicité rustique, de sécurité et de paix. Des paysages de Léopold Robert, des moissonneurs, des vendangeurs, des bœufs accouplés ruminant à l’ombre, pendant que des enfants chassaient les mouches de leurs flancs avec des rameaux de myrte ; des muletiers ramenant aux villages lointains leurs femmes, qui allaitaient leurs enfants, assises dans un des paniers ; de jeunes filles dignes de servir de type à Raphaël, s’il eût voulu diviniser la vie et l’amour, au lieu de diviniser le mystère et la virginité ; des fiancés précédés des pifferari (joueurs de cornemuse), allant à l’église pour faire bénir leur félicité ; des moines, le rosaire à la main, bourdonnant leurs psaumes comme l’abeille bourdonne en rentrant à la ruche avec son butin ; des frères quêteurs, le visage coloré de soleil et de santé, le dos plié sous le fardeau de pain, de fruits, d’œufs, de fiasques d’huile et de vin, qu’ils rapportaient au couvent ; des ermites assis sur leurs nattes au seuil de leur ermitage ou de leur grotte de rocher au soleil, et souriant aux jeunes femmes et aux enfants qui leur demandaient de les bénir, voilà les spectacles de cette nature ; il n’y avait là rien pour la tristesse et la mort. Qu’est-ce qui me ramena donc à