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semblaient naturels, et que je ne les sentais pas moi-même. Il ne manquait à mon bonheur que ma mère et la liberté.


IV


Cependant je n’ai jamais pu discipliner mon âme à la servitude, quelque adoucie qu’elle fût par l’amitié, par la faveur de mes maîtres, par la popularité bienveillante dont mes condisciples m’entouraient au collège. Cette liberté des yeux, des pas, des mouvements, longtemps savourée à la campagne, me rendait les murs de l’école plus obscurs et plus étroits. J’étais un prisonnier plus heureux que les autres, mais j’étais toujours un prisonnier. Je ne m’entretenais avec mes amis, dans les heures de libre entretien, que du bonheur de sortir bientôt de cette réclusion forcée et de posséder de nouveau le ciel, les champs, les bois, les eaux, les montagnes de nos demeures meures paternelles. J’avais la fièvre perpétuelle de la liberté, j’avais la frénésie de la nature.

La fenêtre haute du dortoir la plus rapprochée de mon lit ouvrait sur une verte vallée du Bugey, tapissée de prairies, encadrée par des bois de hêtres et terminée par des montagnes bleuâtres sur le flanc desquelles on voyait flotter la vapeur humide et blanche de lointaines cascades. Souvent, quand tous mes camarades étaient endormis, quand la nuit était limpide et que la lune éclairait le ciel, je me levais sans bruit, je grimpais contre les barreaux d’un dossier de chaise, dont je me faisais une échelle, et je m’accordais des heures entières sur le socle de cette fenêtre, pour regarder amoureusement cet