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VII


Mais il manquait quelque chose a mon intelligence complète d’Ossian : c’était l’ombre d’un amour. Comment adorer sans objet ? comment se plaindre sans douleur ? comment pleurer sans larmes ? Il fallait un prétexte à mon imagination d’enfant rêveur. Le hasard et le voisinage ne tardèrent pas à me fournir ce type obligé de mes adorations et de mes chants. Je m’en serais fait un de mes songes, de mes nuages et de mes neiges, s’il n’avait pas existé tout près de moi. Mais il existait, et il eût été digne d’un culte moins imaginaire et moins puéril que le mien.

Mon père passait alors les hivers tout entiers à la campagne. Il y avait, dans les environs, des familles nobles ou des familles d’honorable et élégante bourgeoisie qui habitaient également leurs châteaux ou leurs petits domaines pendant toutes les saisons de l’année. On se réunissait dans des repas de campagne ou dans des soirées sans luxe. La plus sobre simplicité et la plus cordiale égalité régnaient dans ces réunions de voisins et d’amis. Vieux seigneurs ruinés par la révolution, émigrés encore jeunes et conteurs, rentrés de l’exil ; curés, notaires, médecins des villages voisins, familles retirées dans leurs maisons rustiques, riches cultivateurs du pays, confondus par les habitudes et par le voisinage avec la bourgeoisie et la noblesse, composaient ces réunions que le retour de l’hiver avait multipliées.

Pendant que les parents s’entretenaient longuement à table, ou jouaient aux échecs, au trictrac, aux cartes