Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les jours dans la campagne et sur la mer nous avaient familiarisés avec leur langue accentuée et sonore, où le geste et le regard tiennent plus de place que le mot. Philosophes par pressentiment et fatigués des agitations vaines de la vie avant de les avoir connues, nous portions souvent envie à ces heureux lazzaroni dont la plage et les quais de Naples étaient alors couverts, qui passaient leurs jours à dormir à l’ombre de leur petite barque, sur le sable, à entendre les vers improvisés de leurs poètes ambulants, et à danser la tarentela avec les jeunes filles de leur caste, le soir, sous quelque treille au bord de la mer. Nous connaissions leurs habitudes, leur caractère et leurs mœurs, beaucoup mieux que celles du monde élégant, où nous n’allions jamais. Cette vie nous plaisait et endormait en nous ces mouvements fiévreux de l’âme, qui usent inutilement l’imagination des jeunes hommes avant l’heure où leur destinée les appelle à agir ou à penser.

Mon ami avait vingt ans ; j’en avais dix-huit : nous étions donc tous deux à cet âge où il est permis de confondre les rêves avec les réalités. Nous résolûmes de lier connaissance avec ces pêcheurs et de nous embarquer avec eux pour mener quelques jours la même vie. Ces nuits tièdes et lumineuses passées sous la voile, dans ce berceau ondoyant des lames et sous le ciel profond et étoilé, nous semblaient une des plus mystérieuses voluptés de la nature, qu’il fallait surprendre et connaître, ne fût-ce que pour la raconter.

Libres et sans avoir de compte à rendre de nos actions et de nos absences à personne, le lendemain nous exécutâmes ce que nous avions rêvé. En parcourant la plage de la Margellina, qui s’étend sous le tombeau de Virgile, au pied du mont Pausilippe, et où les pêcheurs de