Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/165

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ques filets de plus. Le vent nous surprit ; il tomba du sommet de l’Epomeo, immense montagne qui domine Ischia, avec le bruit et le poids de la montagne elle-même qui s’écroulerait dans la mer. Il aplanit d’abord tout l’espace liquide autour de nous, comme la herse de fer aplanit la glèbe et nivelle les sillons. Puis la vague, revenue de sa surprise, se gonfla murmurante et creuse, et s’éleva, en peu de minutes, à une telle hauteur, qu’elle nous cachait de temps à autre la côte et les îles.

Nous étions également loin de la terre ferme et d’Ischia, et déjà à demi engagés dans le canal qui sépare le cap Misène de l’île grecque de Procida. Nous n’avions qu’un parti à prendre : nous engager résolument dans le canal, et, si nous réussissions à le franchir, nous jeter à gauche dans le golfe de Baïa et nous abriter dans ses eaux tranquilles.

Le vieux pêcheur n’hésita pas. Du sommet d’une lame où l’équilibre de la barque nous suspendit un moment dans un tourbillon d’écume, il jeta un regard rapide autour de lui, comme un homme égaré qui monte sur un arbre pour chercher sa route, puis se précipitant au gouvernail : « À vos rames, enfants ! s’écria-t-il ; il faut que nous voguions au cap plus vite que le vent ; s’il nous y devance, nous sommes perdus ! » Nous obéîmes comme le corps obéit à l’instinct.

Les yeux fixés sur ses yeux pour y chercher le rapide indice de sa direction, nous nous penchâmes sur nos avirons, et tantôt gravissant péniblement le flanc des lames montantes, tantôt nous précipitant avec leur écume au fond des lames descendantes, nous cherchions à activer notre ascension ou à ralentir notre chute par la résistance de nos rames dans l’eau. Huit ou dix vagues de plus en plus énormes nous jetèrent dans le plus étroit