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grosse pierre où l’on avait scellé un anneau de fer. Quelques concombres frits de même et découpés en lanières dans la poêle, quelques coquillages frais, semblables à des moules, et qu’on appelle frutti di mare, fruits de mer, composaient pour nous ce frugal dîner, le principal et le plus succulent repas de la journée. Des raisins muscats aux longues grappes jaunes, cueillis le matin par Graziella, conservés sur leur tige et sous leurs feuilles, et servis sur des corbeilles plates d’osier tressé, formaient le dessert. Une tige ou deux de fenouil vert et cru trempé dans le poivre, et dont l’odeur d’anis parfume les lèvres et relève le cœur, nous tenaient lieu de liqueurs et de café, selon l’usage des marins et des paysans de Naples. Après le dîner nous allions chercher, mon ami et moi, quelque abri ombragé et frais au sommet de la falaise, en vue de la mer et de la côte de Baïa, et nous y passions, à regarder, à rêver et à lire, les heures brûlantes du jour, jusque vers quatre ou cinq heures après midi.


II


Nous n’avions sauvé des flots que trois volumes dépareillés, parce que ceux-là ne se trouvaient pas dans notre valise de marin, quand nous la jetâmes à la mer : c’était un petit volume italien d’Ugo Foscolo, intitulé Lettres de Jacopo Ortis, espèce de Werther, moitié politique, moitié romanesque, où la passion de la liberté de son pays se mêle dans le cœur d’un jeune Italien à sa passion pour une belle Vénitienne. Le double enthousiasme, nourri par ce double feu de l’amant et du ci-