Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XII


Quant à Tacite, ils l’entendaient moins encore. L’empire ou la république, ces hommes qui s’entre-tuaient, les uns pour régner, les autres pour ne pas survivre à la servitude, ces crimes pour le trône, ces vertus pour la gloire, ces morts pour la postérité les laissaient froids. Ces orages de l’histoire éclataient trop au-dessus de leurs têtes pour qu’ils en fussent affectés. C’étaient pour eux comme des tonnerres hors de portée sur la montagne, qu’on laisse rouler sans s’en inquiéter parce qu’ils ne tombent que sur les cimes, et qu’ils n’ébranlent pas la voile du pêcheur ni la maison du métayer.

Tacite n’est populaire que pour les politiques ou pour les philosophes ; c’est le Platon de l’histoire. Sa sensibilité est trop raffinée pour le vulgaire. Pour le comprendre, il faut avoir vécu dans les tumultes de la place publique ou dans les mystérieuses intrigues des palais. Ôtez la liberté, l’ambition et la gloire à ces scènes, qu’y reste-t-il ? Ce sont les trois grands acteurs de ses drames. Or ces trois passions sont inconnues au peuple, parce que ce sont des passions de l’esprit et qu’il n’a que les passions du cœur Nous nous en aperçûmes à la froideur et à l’étonnement que ces fragments répandaient autour de nous.

Nous essayâmes alors, un soir de leur lire Paul et Virginie. Ce fut moi qui le traduisis en lisant, parce que j’avais tant l’habitude de le lire que je le savais, pour ainsi dire, par cœur. Familiarisé par un plus long séjour en Italie avec la langue, les expressions ne me coûtaient