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bleus et plus resplendissants. Puis elle s’essuya en riant et secoua ses cheveux noirs, dont la poussière me couvrit à mon tour « N’est-ce pas, dit-elle, que c’est un bel état pour une fille de la mer comme moi ? Nous lui devons tout, à la mer : depuis la barque de mon grand-père et le pain que nous mangeons jusqu’à ces colliers et à ces pendants d’oreilles dont je me parerai peut-être un jour, quand j’en aurai tant poli et tant façonné pour de plus riches et de plus belles que moi. »

La matinée se passa ainsi à causer à folâtrer à travailler sans que l’idée me vînt de m’en aller Je partageai, à midi, le repas de la famille. Le soleil, le grand air, le contentement d’esprit, la frugalité de la table, qui ne portait que du pain, un peu de poisson frit et des fruits conservés dans la cave, m’avaient rendu l’appétit et les forces. J’aidai le père, après midi, à raccommoder les mailles d’un vieux filet étendu sur l’astrico.

Graziella, dont nous entendions le pied cadencé faisant tourner la meule, le bruit du rouet de la grand-mère et les voix des enfants qui jouaient avec les oranges sur le seuil de la maison, accompagnaient mélodieusement notre travail. Graziella sortait de temps en temps pour secouer ses cheveux sur le balcon, nous échangions un regard, un mot amical, un sourire. Je me sentais heureux, sans savoir de quoi, jusqu’au fond de l’âme. J’aurais voulu être une des plantes d’aloès enracinées dans les clôtures du jardin, ou un des lézards qui se chauffaient au soleil auprès de nous sur la terrasse et qui habitaient avec cette pauvre famille les fentes du mur de la maison.