Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et descendait modestement, les yeux baissés, les degrés au bas desquels je l’attendais.

C’est ainsi que, les jours de fête, je la menais le matin et le soir aux églises, seul et pieux divertissement qu’elle connût et qu’elle aimât. J’avais soin, ces jours-là, de rapprocher le plus possible mon costume de celui des jeunes marins de l’île, afin que ma présence n’étonnât personne et qu’on me prît pour le frère ou pour un parent de la jeune fille que j’accompagnais.

Les autres jours elle ne sortait pas. Quant à moi, j’avais repris peu à peu ma vie d’étude et mes habitudes solitaires, distraites seulement par la douce amitié de Graziella et par mon adoption dans sa famille. Je lisais les historiens, les poëtes de toutes les langues. J’écrivais quelquefois ; j’essayais, tantôt en italien, tantôt en français, d’épancher en prose ou en vers ces premiers bouillonnements de l’âme, qui semblent peser sur le cœur jusqu’à ce que la parole les ait soulagés en les exprimant.

Il semble que la parole soit la seule prédestination de l’homme et qu’il ait été créé pour enfanter des pensées, comme l’arbre pour enfanter son fruit. L’homme se tourmente jusqu’à ce qu’il ait produit au-dehors ce qui le travaille au-dedans. Sa parole écrite est comme un miroir dont il a besoin pour se connaître lui-même et pour s’assurer qu’il existe. Tant qu’il ne s’est pas vu dans ses œuvres, il ne se sent pas complètement vivant. L’esprit a sa puberté comme le corps.

J’étais à cet âge où l’âme a besoin de se nourrir et de se multiplier par la parole. Mais, comme il arrive toujours, l’instinct se produisit en moi avant la force. Dès que j’avais écrit, j’étais mécontent de mon œuvre et je la rejetais avec dégoût. Combien le vent et les vagues de la