Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/248

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dans les rues de ce qui fut leur ville avec autant d’indifférence que des amas de coquillages vides roulés par la mer sur ses bords. Le temps est une grande mer qui déborde, comme l’autre mer, de nos débris. On ne peut pas pleurer sur tous. À chaque homme ses douleurs, à chaque siècle sa pitié ; c’est bien assez.

En quittant Pompeia, je m’enfonçai dans les gorges boisées des montagnes de Castellamare et de Sorrente. J’y vécus quelques jours, allant d’un village à l’autre, et me faisant guider par les chevriers aux sites les plus renommés de leurs montagnes. On me prenait pour un peintre qui étudiait des points de vue, parce que j’écrivais de temps en temps quelques notes sur un petit livre de dessins que mon ami m’avait laissé. Je n’étais qu’une âme errante qui divaguait ça et là dans la campagne pour user les jours. Tout me manquait. Je me manquais à moi-même.

Je ne pus continuer plus longtemps. Quand les fêtes de Noël furent passées, et ce premier jour de l’année aussi dont les hommes ont fait une fête comme pour séduire et fléchir le temps avec des joies et des couronnes, comme un hôte sévère qu’on veut attendrir, je me hâtai de rentrer à Naples. J’y rentrai la nuit et en hésitant, partagé entre l’impatience de revoir Graziella et la terreur d’apprendre que je ne la verrais plus. Je m’arrêtai vingt fois ; je m’assis sur le rebord des barques en approchant de la Margellina.

Je rencontrai Beppo à quelques pas de la maison. Il jeta un cri de joie en me voyant, et il me sauta au cou comme un jeune frère. Il m’emmena vers sa barque et me raconta ce qui s’était passé en mon absence.

Tout était bien changé dans la maison. Graziella ne faisait plus que pleurer depuis que j’étais parti. Elle ne