Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heures. Partons, ou tu ne partiras jamais. Ta mère en mourra. Tu sais combien ta famille la rend responsable de toutes tes fautes. Elle s’est tant sacrifiée pour toi ; sacrifie-toi un moment pour elle. Je te jure que je reviendrai avec toi passer l’hiver et toute une autre longue année ici. Mais il faut faire acte de présence dans ta famille et d’obéissance aux ordres de ta mère. »

Je sentis que j’étais perdu.

« Attends-moi là », lui dis-je.

Je rentrai dans ma chambre, je jetai à la hâte mes vêtements dans ma valise. J’écrivis à Graziella, je lui dis tout ce que la tendresse pouvait exprimer d’un cœur de dix-huit ans et tout ce que la raison pouvait commander à un fils dévoué à sa mère. Je lui jurais, comme je me le jurais à moi-même, qu’avant que le quatrième mois fût écoulé, je serais auprès d’elle et que je ne la quitterais presque plus. Je confiais l’incertitude de notre destinée future à la Providence et à l’amour. Je lui laissais ma bourse pour aider ses vieux parents pendant mon absence. La lettre fermée, je m’approchai à pas muets. Je me mis à genoux sur le seuil de la porte de sa chambre. Je baisai la pierre et le bois ; je glissai le billet dans la chambre par-dessous la porte. Je dévorai le sanglot intérieur qui m’étouffait.

Mon ami me passa la main sous le bras, me releva et m’entraîna. À ce moment, Graziella, que ce bruit inusité avait alarmée sans doute, ouvrit la porte. La lune éclairait la terrasse. La pauvre enfant reconnut mon ami. Elle vit ma valise qu’un domestique emportait sur ses épaules. Elle tendit les bras, jeta un cri de terreur et tomba inanimée sur la terrasse.

Nous nous élançâmes vers elle. Nous la reportâmes sans connaissance sur son lit. Toute la famille accourut.