Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soir, et il faisait un recueil de toutes les anecdotes bouffonnes, mais chastes, qu’il avait pu récolter dans sa tournée : une espèce de dictionnaire de la gaieté ou d’encyclopédie du rire à l’usage de la famille et des voisins. Mais ce rire était celui d’un ange et d’un saint. Il ne devait coûter ni rougeur au front, ni larmes aux victimes. C’était le côté plaisant de la nature, mais jamais le mauvais côté. Il était très-lié avec madame de Staël, dont il n’aimait pas les principes, dont il plaisantait l’enthousiasme, mais dont il adorait la bonté. Leur correspondance était fréquente et bizarre. C’était l’agacerie charmante de l’esprit et du génie. C’était la religion gracieuse et tolérante jetant un peu de poussière aux ailes de la philosophie, mais sans vouloir les souiller. C’était le badinage courtois de la poésie et de la prose. Elles se faisaient briller en luttant. Je passai des journées délicieuses dans cette intimité de famille.

Ce fut à une autre époque que j’y connus le comte Joseph de Maistre, le frère aîné de tous ces frères, le Lévi de cette tribu. J’entendis de sa bouche la lecture des Soirées de Saint-Pétersbourg avant leur publication. Les amis et les ennemis de sa philosophie connaissaient également peu l’homme sous l’écrivain.

Le comte de Maistre était un homme de grande taille, d’une belle et mâle figure militaire, d’un front haut et découvert, où flottaient seulement, comme les débris d’une couronne, quelques belles mèches de cheveux argentés. Son œif était vif, pur, franc. Sa bouche avait l’expression habituelle de fine plaisanterie qui caractérisait toute la famille ; il avait dans l’attitude la dignité de son rang, de sa pensée, de son âge. Il eût été impossible de le voir sans s’arrêter et sans soupçonner qu’on passait devant quelque chose de grand.