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IX


J’ai déjà dit quels obstacles de fortune et quels préjugés de famille s’opposaient à son mariage. Sa constance et celle de ma mère les surmontèrent. Ils furent unis au moment même où la révolution allait ébranler tous les établissements humains et le sol même sur lequel on les fondait.

Déjà l’Assemblée constituante était à l’œuvre. Elle sapait avec la force d’une raison pour ainsi dire surhumaine les privilèges et les préjugés sur lesquels reposait l’ancien ordre social en France. Déjà ces grandes émotions du peuple emportaient, comme des vagues que le vent commence à soulever, tantôt Versailles, tantôt la Bastille ; tantôt l’hôtel de ville de Paris. Mais l’enthousiasme de la noblesse même pour la grande régénération politique et religieuse subsistait encore. Malgré ces premiers tremblements du sol, on pensait que cela serait passager. On n’avait pas d’échelle dans le passé pour mesurer d’avance la hauteur qu’atteindrait ce débordement des idées nouvelles. Mon père n’avait pas quitté le service en se mariant : il ne voyait dans tout cela que son drapeau à suivre, le roi à défendre, quelques mois de lutte contre le désordre, quelques gouttes de son sang à donner à son devoir. Ces premiers éclairs d’une tempête qui devait submerger un trône et secouer l’Europe pendant un demi-siècle au moins se perdirent pour ma mère et pour lui dans les premières joies de leur amour et dans les premières perspectives de leur félicité. Je me souviens d’avoir vu un jour une branche de saule séparée du