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formité de nature, l’attrait réciproque, et enfin la tristesse même de nos deux existences allaient insensiblement me faire nouer une véritable et durable amitié.

Cette amitié s’est cimentée depuis par les années ; elle a duré jusqu’à sa mort, et maintenant, quand je passe par le village de Bussières, mon cheval, habitué à ce détour, quitte le grand chemin vers une petite croix, monte un sentier rocailleux qui passe derrière l’église, sous les fenêtres de l’ancien presbytère, et s’arrête un moment de lui-même auprès du mur d’appui du cimetière. On voit par-dessus ce mur la pierre funéraire que j’ai posée sur le corps de mon ami. J’y ai fait écrire en lettres creuses, pour toute épitaphe, son nom à côté du mien. J’y donne, un moment en silence, tout ce que les vivants peuvent donner aux morts : une pensée… une prière… une espérance de se retrouver ailleurs !…


VIII


Nous nous liàmes naturellement et sans le prévoir. Il n’avait que moi avec qui il pût s’entretenir, dans ce désert d’hommes, des idées, des livres, des choses de l’âme qu’il avait cultivées avec amour dans sa jeunesse et dans le palais de l’évêque de Mâcon. Il les cultivait solitairement encore dans l’isolement où il était confiné. Je n’avais que lui avec qui je pusse épancher moi-même mon âme débordante d’impressions et de mélancolie.

Nos rencontres étaient fréquentes : le dimanche à l’église ; les autres jours dans les sentiers du village, dans les buis ou dans les genêts de la montagne. J’entendais de ma fenêtre l’appel de ses chiens courants.