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trop fort de ses aspirations vers l’infini. Ce souffle l’enlevait entièrement à la terre, et ma mère ne pouvait plus l’y rappeler.

En ce moment, Suzanne, sortant de l’église, son vrai séjour, se retournait de moments en moments pour adresser encore du cœur un salut ou un adieu aux tabernacles qu’habitait son âme. Elle baissait les yeux pour que son regard sur la foule qui la contemplait ne laissât pas évaporer une de ses ferveurs. Ses deux mains jointes tenaient sur son sein son livre de prières dans un étui de velours noir. Les regards légers devenaient graves et saints en la regardant. On sentait qu’il n’y aurait pas sur la terre un homme digne de remplacer ce livre sur son cœur, et que l’amour serait pour cette pureté non une flamme, mais une profanation.

Dans les deux autres sœurs qui suivaient Suzanne, il y avait une différence de taille beaucoup plus sensible qu’entre elle et ses sœurs aînées. On aurait cru qu’il y avait eu là un intervalle de naissance ou une perte de quelqu’un des enfants de la mère. Ces deux jeunes fronts, au lieu de se niveler, n’atteignaient plus qu’aux épaules de Suzanne. C’était comme un degré auquel il aurait manqué quelques marches.


XIII


Celle de mes sœurs qui se rapprochait le plus de Suzanne s’appelait Césarine. Elle avait seize ans, un an de plus que sa sœur ; mais elle n’était pas destinée par la nature à s’élever en jet aussi flexible et aussi majestueux que les deux premières tiges. Plus formée déjà et