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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/471

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jamais supporter l’insupportable ennui de manier deux heures par jour des cartes toujours les mêmes dans mes mains, n’ayant pour horizon de mon esprit et pour diversion de mon cœur que ces abominables figures de rois, de reines et de valets bariolés à jeter les uns sur les autres dans cette mêlée de morceaux de carton, sur un tapis vert, pour les ramasser ensuite et recommencer le même exercice jusqu’à ce que la pendule sonnât la délivrance de mon esprit ! Il fallut y renoncer. Ma patience, ma bonne volonté, ma jeunesse, ma figure n’y firent rien. Cela me fit mal noter dès mon début dans l’estime des vieilles femmes qui gouvernaient majestueusement ce monde de cartes, de fiches et de jetons. Leurs figures se glacèrent et se rembrunirent pour moi. L’obligation d’accompagner régulièrement chez elles ma mère et mes sœurs aînées devint pour moi un supplice quotidien. J’abrégeais le martyre en m’échappant après les parties commencées.


XXXII


Il y avait un seul salon où l’on ne jouait pas, et qui s’ouvrait tous les soirs à un petit nombre d’habitués et d’amis de la maison ; c’était le salon de mon oncle. J’y allais le soir avec beaucoup moins de répugnance que le matin. C’était un petit cercle intime, politique, littéraire, scientifique, où l’esprit stagnant d’une petite ville participait du moins, le soir, au mouvement des idées, des faits et du temps. Mon oncle, homme de connaissances très-variées et d’une causerie très-souple à toutes les ondulations d’une soirée oisive, était le centre de ce