Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/480

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ami et admirateur de Nodier, de Chénier, de Delille, de Fontanes ; assistant à toutes les séances des académies, membre de tous les cercles, suivant tous les cours, visiteur de tous les salons, assidu à tous les théâtres, c’était l’éponge intelligente des deux siècles, mais une éponge qui retenait tout, une mémoire qui ne perdait rien, une expression et un geste qui faisaient tout entendre et tout revoir : prose, vers, anecdotes, physionomies, discours, scènes, citations ; on retrouvait l’antiquité, le passé, le présent dans son entretien ; on n’avait qu’à feuilleter. Dictionnaire universel relié sous forme humaine, toute la cendre de la bibliothèque d’Alexandrie contenue dans le crane d’un homme vivant ! Il remplissait à lui seul ce salon. Il m’aima promptement à cause de ma jeunesse, de ma curiosité, de mon attention à l’écouter, de l’enthousiasme que sa passion allumait dans mon regard. Bien qu’il eût trente ans d’avance sur moi dans la vie, il me croyait de son âge et je me sentais du sien, car il était de ces natures qui ne vieillissent pas, même dans leur caducité, et j’étais de celles qui devancent la vieillesse par la réflexion. Il me traitait en égal d’années et d’intelligence. Il venait souvent, le matin, achever dans ma chambre la conversation de la veille. Il se livrait plus librement, alors, à son inspiration intime ; il découvrait les cendres de son enthousiasme pour les grands hommes et les grandes choses du commencement de la révolution, qu’il osait moins soulever chez mon oncle, en présence de mes tantes pieuses et de quelques gentilshommes royalistes et émigrés. Le philosophe réapparaissait sous l’homme du monde. Son antipathie contre l’empire et contre cette oppression muette de la pensée éclatait en foudres de paroles qui grondaient éternellement dans son sein. Il me récitait les impréca-