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les plus mécaniques de passer les heures éternelles. Il y avait à l’hôpital de la ville un vieil émigré infirme, ancien camarade de mon père dans son régiment, rentré depuis peu de temps d’Angleterre. Il était privé de l’usage de ses jambes ; il n’avait pour toute fortune qu’une petite pension que lui faisait sa famille pour son entretien et pour celui d’un vieux domestique, son compagnon d’émigration et de malheur. Il s’appelait le chevalier de Sennecey. Mon père, qui l’aimait beaucoup, m’y mena un jour. Son isolement n’intéressa, j’y retournai. Il était simple d’esprit, comme un soldat qui n’a connu de la vie que son cheval et son sabre ; mais il était sensible, bon, affectueux. Il me recevait comme les solitaires forcés, désertés du monde, reçoivent ceux qui viennent par charité ou par amitié diversifier un peu leur solitude. On voit sur leur visage se répandre le rayon intérieur de leur joie secrète. On sent le plaisir qu’on leur fait, on s’attache soi-même à eux par le bonheur qu’on leur apporte. Je m’attachai ainsi à ce pauvre homme.

Tous les jours, après le dîner de famille et après une promenade solitaire derrière les monotones jardins de cet hôpital, j’y entrais ; je traversais les files de convalescents assis sous le portique, j’entrevoyais les longues rangées de lits blancs des salles et la lueur éternelle des cierges qui brûlent au centre de l’édifice, sur l’autel qu’on aperçoit de tous ses rayons ; je montais le large et sonore escalier, où je rencontrais les sœurs hospitalières dans leur costume de pieux service ; je suivais un immense corridor à l’extrémité duquel se trouvait la petite porte de la cellule du pauvre chevalier.

Je le trouvais assis à côté de sa fenêtre, devant son établi d’horloger, comme ces chartreux dont j’avais visité