Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/54

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les vitres des deux fenêtres basses, et le vent, soufflant par rafales, produit, en se brisant contre les branches de deux ou trois platanes et en pénétrant dans les interstices des volets, ces sifflements intermittents et mélancoliques que l’on entend seulement au bord des grands bois de sapins quand on s’assoit à leurs pieds pour les écouter. La chambre où je me revois ainsi est grande mais presque nue. Au fond est une alcôve profonde avec un lit. Les rideaux du lit sont de serge blanche à carreaux bleus. C’est le lit de ma mère. Il y a deux berceaux sur des chaises de bois au pied du lit ; l’un grand, l’autre petit. Ce sont les berceaux de mes plus jeunes sœurs qui dorment déjà depuis longtemps. Un grand feu de ceps de vigne brûle au fond d’une cheminée de pierres blanches dont le marteau de la révolution a ébréché en plusieurs endroits la tablette en brisant les armoiries ou les fleurs de lis des ornements. La plaque de fonte du foyer est retournée aussi, parce que, sans doute, elle dessinait sur sa surface opposée les armes du roi ; de grosses poutres noircies par la fumée, ainsi que les planches qu’elles portent, forment le plafond. Sous les pieds, ni parquet ni tapis ; de simples carreaux de brique non vernissés, mais de couleur de terre et cassés en mille morceaux par les souliers ferrés et par les sabots de bois des paysans qui en avaient fait leur salle de danse pendant l’emprisonnement de mon père. Aucune tenture, aucun papier peint sur les murs de la chambre ; rien que le plâtre éraillé à plusieurs places et laissant voir la pierre nue du mur, comme on voit les membres et les os à travers un vêtement déchiré. Dans un angle, un petit clavecin ouvert, avec des cahiers de musique du Devin de village de Jean-Jacques Rousseau, épars sur l’instrument ; plus près du feu, au milieu