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VI


Vous connaissez maintenant cette demeure aussi bien que moi. Mais que ne puis-je un seul moment animer pour vous ce séjour de la vie, du mouvement, du bruit, des tendresses qui le remplissaient pour nous ! J’avais déjà dix ans que je ne savais pas encore ce que c’était qu’une amertume de cœur, une gêne d’esprit, une sévérité du visage humain. Tout était libre en moi et souriant autour de moi. Je n’étais pourtant ni énervé par les complaisances de ceux à qui je devais obéir, ni abandonné sans frein aux capricieuses exigences de mes imaginations ou de mes volontés d’enfant. Je vivais seulement dans un milieu sain et salutaire de la plénitude de la vie, entre mon père et ma mère, et ne respirant autour d’eux que tendresse, piété et contentement. Aimer et être aimé, c’était jusque-la toute mon éducation physique ; elle se faisait aussi d’elle même au grand air et dans les exercices presque sauvages que je vous ai décrits. Plante de pleine terre et de montagne, on se gardait bien de m’abriter. On me laissait croître et me fortifier en luttant l’hiver et l’été contre les éléments. Ce régime me réussissait à merveille, et j’étais alors un des plus beaux enfants qui aient jamais foulé de leurs pieds nus les pierres de nos montagnes, où la race humaine est cependant si saine et si belle. Des yeux d’un bleu noir, comme ceux de ma mère ; des traits accentués, mais adoucis par une expression un peu pensive, comme était la sienne ; un éblouissant rayon de joie éclairant tout ce visage ; des cheveux