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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 3.djvu/109

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Je vois passer, je vois sourire
La femme aux perfides appas
Qui m’enivra d’un long délire,
Dont mes lèvres baisaient les pas !
Ses blonds cheveux flottent encore ;
Les fraîches couleurs de l’aurore
Teignent toujours son front charmant,
Et dans l’azur de sa paupière
Brille encore assez de lumière
Pour fasciner l’œil d’un amant.

La foule, qui s’ouvre à mesure,
La flatte encor d’un long coup d’œil,
Et la poursuit d’un long murmure
Dont s’enivre son jeune orgueil.
Et moi, je souris et je passe ;
Sans effort de mon cœur j’efface
Ce songe de félicité,
Et je dis, la pitié dans l’âme :
« Amour ! se peut-il que ta flamme
Meure encore avant la beauté ? »

Hélas ! dans une longue vie
Que reste-t-il après l’amour ?
Dans notre paupière éblouie
Ce qu’il reste après un beau jour ;
Ce qu’il reste à la voile vide
Quand le dernier vent qui la ride
S’abat sur le flot assoupi ;
Ce qu’il reste au chaume sauvage,
Lorsque les ailes de l’orage
Sur la terre ont vidé l’épi !