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ÉPITRE À M. A. DE LAMARTINE

Quand tout est calme encor, que le bruit de la ville
S’éveille à peine autour de mon paisible asile ;
A l’instant où le cœur aime à se souvenir,
Où l’on pense aux absents, aux morts, à l’avenir,
Votre parole, ami, me revient, et j’y pense ;
Et, consacrant pour moi le beau jour qui commence,
Je vous renvoie à vous ce mot que je vous dois,
À vous, sous votre vigne, au milieu des grands bois.
Là désormais, sans trouble, au port après l’orage,
Rafraîchissant vos jours aux fraîcheurs de l’ombrage,
Vous vous plaisez aux lieux d’où vous étiez sorti :
Que verriez-vous de plus ? vous avez tout senti.
Les heures qu’on maudit et celles qu’on caresse
Vous ont assez comblé d’amertume ou d’ivresse.
Des passions en vous les rumeurs ont cessé ;
De vos afflictions le lac est amassé ;
Il ne bouillonne plus ; il dort, il dort dans l’omlbre,
Au fond de vous, muet, inépuisable et sombre ;
Alentour un esprit flotte, et de ce côté
Les lieux sont revêtus d’une triste beauté.
Mais ailleurs, mais partout, que la lumière est pure !
Quel dôme vaste et bleu couronne la verdure ;
Et combien cette voix pleure amoureusement !
Vous chantez, vous priez, comme Abel, en aimant ;
Votre cœur tout entier est un autel qui fume ;
Vous y mettez l’encens, et l’éclair le consume ;
Chaque ange est votre frère, et quand vient l’un d’entre eux
En vous il se repose, — ô grand homme, homme heureux [1] !

  1. Depuis que cette pièce a été adressée à l’illustre poëte, deux affreux malheurs sont venus la démentir, et montrer que pour le grand homme heureux tout le lac des afflictions n’était pas amassé : il y manquait une goutte encore, et la plus amère.