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que j’avais fait, et, en récompense, quand elles sortaient bien belles et bien parées pour le bal, et que j’étais obligée de les attendre souvent jusqu’à des deux ou trois heures du matin dans leurs chambres pour les déshabiller à leur retour, elles me disaient : « Reine, tiens, voilà un de nos livres qui t’amusera pendant que nous danserons. » Je le prenais, je m’asseyais toute seule au coin de leur feu et je lisais le livre toute la nuit, et puis quand j’avais fini, je le relisais encore jusqu’à ce que je l’eusse bien compris ; et quand je n’avais pas bien compris tout, à cause de ma simplicité et de mon état, je leur demandais de m’expliquer la chose, et elles se faisaient un plaisir de me satisfaire. C’est comme cela, Monsieur, que j’ai lu l’histoire de la pauvre Laurence dans votre poëme de Jocelyn. M’a-t-il fait pleurer, une nuit que ces demoiselles l’avaient laissé tout ouvert sur leur table ! Ah ! je disais en moi-même : Je voudrais bien connaître celui qui l’a écrit ! Vous savez, Monsieur, comme dit la complainte :

Qui est-ce qui a fait cette chanson ?
Un marin sous sa toile,
Pendant qu’il carguait la voile
En revoyant sa maison, etc., etc.

« — Oui, lui dis-je, je connais cette complainte du matelot qui signe en action sa poésie, et qui met son nom dans son dernier vers, comme Phidias l’écrivait sous la plante du pied de sa statue, ou comme Van Dyck l’écrit au pinceau sur le collier du chien de tous ses tableaux, afin que le nom de l’artiste vive autant que l’œuvre, n’est-ce pas ? Mais, continuez ; comment êtes-vous sortie de cette bonne maison et que faites-vous maintenant ? »