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les yeux tout éblouis, l’oreille toute sonnante, le cœur tout troublé, les gorges creuses et sinistres qui serpentent du Pont-de-Pany au château d’Urcy. Mon oncle dormait depuis longtemps.


IX


À son réveil, je lui racontai la scène de la veille et la résolution que j’avais prise de me dévouer aux deux étrangères. Il fit semblant de me croire sur parole, mais je voyais bien à ses sourires qu’au fond il ne me croyait pas aussi désintéressé dans cette rencontre que je l’étais en effet. Quoi qu’il en fût, il ne se fâchait jamais de rien ; c’était l’indulgence de nature vieillie dans la réflexion sur l’inutilité des sévérités. « Fais ce que tu voudras, me dit-il ; voilà le tiroir de mon secrétaire ; prends-y avec mesure, mais avec liberté. Si c’est un amour, le temps le guérira ; si c’est une amitié, le temps pourra bien la dénaturer. Tu es bien jeune pour être le tuteur d’une femme aussi belle que tu dépeins ton Italienne ; prends garde au cœur ; il n’est jamais plus près de se réveiller que quand il dort ! »

Je le rassurai : j’avais horreur même du nom d’amour. Je lui montrai quelques-unes des lettres de Saluce. Je lui racontai toute l’histoire de la passion de ces deux cœurs prédestinés pour ainsi dire l’un pour l’autre.

Mais je m’aperçois trop tard, en recueillant et en complétant ces notes, que je n’ai pas noté l’histoire de ces deux amants. Je vais la rétablir ici, grâce aux lettres de Saluce, qui subsistent presque toutes dans le grand coffre de papiers que j’ai rapporté des débris de la bibliothèque d’Urcy.