Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/184

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« — Il faudrait qu’elles fussent très-simples et très-naturelles, ces histoires ; qu’il n’y eût quasi point d’événements ni d’aventures, pour ressembler au courant ordinaire des choses ?

« — Oui, monsieur, parce qu’il n’y a quasi pas d’événements ni d’aventures dans notre vie, et que tout consiste en deux ou trois sentiments qui forment toute notre existence.

« — Il faudrait qu’elles fussent en prose, n’est-ce pas, encore ?

« — Oui, monsieur, c’est plus simple pour nous ; nous aimons qu’on nous parle comme nous parlons. Les auteurs devraient garder les vers pour les cantiques, pour les prières, ou bien comme je fais, moi, pour pleurer les morts, pour regretter les absents, pour rappeler les vieux souvenirs, pour gémir sur les séparations éternelles ; parce que les vers, voyez-vous, ça ne parle pas, ça ne raconte pas bien, mais ça pleure, et ça chante, et ça prie en nous comme une voix qui ne sort pas tous les jours du cœur, mais qui n’en sort que quand il est extraordinairement frappé ou ému.

« — Il faudrait que ces livres ne coûtassent presque rien à acheter, n’est-ce pas, encore, afin qu’une semaine de lecture ne coûtât pas à l’artisan ou au laboureur autant qu’une soirée au cabaret ?

« — Oh ! oui, surtout, dit Reine, en approuvant d’un geste de tête, il faudrait qu’un livre comme ceux dont nous parlons ne fût pas plus cher qu’une bouteille de vin, un jeu de cartes, une tasse de café ou une pipe à fumer. Alors le père ou le frère dirait : « Voilà une bouteille que je vais boire ou une pipe que je vais fumer tout seul, et il ne restera rien dans le verre ou dans la terre cuite quand ça sera fini ; et voilà à côté, pour le même prix, un vo-