Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/188

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pour faire triompher les causes populaires, et que les crimes mêmes s’effacent devant la grandeur et la sainteté des résultats ; il nous croira, il nous suivra, il nous prêtera sa force matérielle ; et quand, à l’aide de ses bras, de son sang, et même de ses crimes, nous aurons déplacé la tyrannie et bouleversé l’Europe, nous licencierons le peuple et nous lui dirons à notre tour : « Tais-toi, travaille et obéis !… » Voilà comment jusqu’à présent on lui a parlé ; voilà comment on a transporté dans la rue les vices des cours, et donné au peuple un tel goût d’adulation et un tel besoin de complaisance et de caresses, qu’à l’exemple de certaines souverains du Bas-Empire, il n’a plus voulu qu’on lui parlât qu’à genoux. Ce n’est pas cela ; il faut lui parler debout, il faut lui parler de niveau, il faut lui parler en face. Il ne vaut ni plus ni moins que les autres éléments de la nation. Le nombre n’y fait rien. Prenez un à un chacun des individus qui composent une foule, que trouvez-vous ? mêmes ignorances, mêmes erreurs, mêmes passions, souvent les mêmes vices qu’ailleurs. Y a-t-il de quoi s’agenouiller ? Non. Multipliez tant que vous voudrez toutes ces ignorances, tous ces vices, toutes ces misères par millions d’hommes, vous n’aurez pas changé leur nature ; vous n’aurez jamais qu’une multitude, laissons donc le nombre et ne respectons que la vérité.

C’est devant la vérité seule qu’il faut vous placer en écrivant l’histoire à l’usage du peuple ; et ne croyez pas que vous serez moins lu, moins écouté, et moins populaire pour cela. Le peuple a deux goûts dépravés : l’adulation et le mensonge ; mais il a deux goûts naturels : la vérité et le courage. Il respecte ceux qui osent le braver ; ceux qui le craignent, il les méprise. Il y a des animaux féroces qui ne dévorent que ceux qui fuient ou qui tombent devant eux. Le peuple est comme le lion, qu’il ne faut pas aborder