Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/190

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des passions, des égoïsmes personnels et nationaux, et faire dire au peuple : « Ceci est bien, ceci est mal, ceci est beau. » En un mot, si vous voulez former le jugement des masses, les arracher à l’immorale théorie du succès, faites quelque chose qui n’a pas encore été fait jusqu’ici : donnez une conscience à l’histoire. Voilà le mot du temps, voilà l’œuvre digne du peuple et l’entreprise digne de vous ! Avec un tel procédé historique, vous plairez moins immédiatement peut-être à l’imagination passionnée des masses ; mais vous servirez mille fois plus leur cause, leurs intérêts et leur raison. Vous trouverez partout ces trois aspects : l’aspect purement individuel, la gloire ; l’aspect exclusivement national, le patriotisme ; enfin l’aspect moral, la civilisation. Et, en pressant le sens de chacun des événements dans la main d’une logique rigoureuse, vous arriverez partout et toujours à ce résultat, que la gloire et le patriotisme même, séparés de la moralité générale de l’acte, sont stériles pour la nation et pour le progrès réel du genre humain, et qu’en un mot il n’y a point de gloire contre l’honnêteté, point de patriotisme contre l’humanité, point de succès contre la justice.

Quel beau commentaire de la Providence qu’une histoire ainsi écrite à l’usage des masses ! et j’ajoute : quel bienfait pour le peuple, et quel gage de sa future puissance mis ainsi dans sa main avec un pareil livre ! Apprendre au peuple, par les faits, par les dévouements, par le sens caché de ces grands drames historiques, où les hommes ne voient que les décorations et les acteurs, mais dont une main invisible combine le plan ; lui apprendre, dis-je, à se connaître, à se juger, à se modérer lui-même ; le rendre capable de discerner ceux qui le servent de ceux qui l’égarent, ceux qui l’éblouissent de ceux qui l’éclairent ; lui mettre la main sur chaque homme, sur chaque grand