Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/192

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une arme de guerre pour se combattre, mais un instrument d’amélioration et de paix pour façonner la nation. Cette pensée la voici :

Je me suis dit : Notre liberté de la presse, notre gouvernement de discussion et de publicité, notre mouvement industriel, notre enseignement primaire surtout, institué dans nos quarante mille communes, répandent, avec une profusion croissante, l’enseignement élémentaire dans les régions inférieures de la population, c’est-à-dire que tout cela donne la faculté, l’habitude et le besoin de lire à des masses considérables du peuple ; mais, après leur avoir créé ce besoin, que leur donne-t-on pour le satisfaire ? qu’écrit-on pour elles ? Rien. Notre éducation à nous, fils du riche, privilégiés du loisir, se continue sans lacune toute notre jeunesse et même toute notre vie. Après l’enseignement élémentaire que nous suçons sur les genoux de notre mère, les colléges nous reçoivent ; nous passons de là aux grands cours des universités ; nous entendons les maîtres célèbres que l’État salarie pour nous dans les capitales ; science, philosophie, lettres humaines, politique, tout nous est versé à pleines coupes ; et, si ce n’est pas assez, des bibliothèques intarissables s’ouvrent pour nous ; des revues, des journaux sans nombre, auxquels notre aisance nous permet de nous abonner, travaillent pour nous, toute la semaine ou toute la nuit, pour venir nourrir notre intelligence chaque matin de la fleur de toutes les connaissances humaines, et provoquer notre esprit à un travail insensible et à une perpétuelle réflexion. À un pareil régime il ne meurt que ce qui ne peut vivre : l’incapable ou l’indifférent. La vie est une étude jusqu’à la mort. Pour les enfants du peuple, au contraire, rien de tout cela. Cependant ils ont leur part de loisir aussi. Les jours de fête et de repos, les veillées d’hiver, les temps de maladie, les heures per-