Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/195

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lement, pour une de ces petites pièces de monnaie qui glissent entre les doigts sans qu’on les retienne, ou que la distraction jette mille fois par an à la moindre fantaisie du jour ; et cette pensée se réaliserait, et la civilisation descendrait comme le nuage sur les lieux inférieurs pour verser partout sa pluie et sa rosée. Quelle révolution morale n’opérerait pas en dix ans sur l’intelligence, sur les idées, sur les mœurs, sur le bien-être des masses, cette infiltration quotidienne et universelle de la lumière dans les ténèbres de la pensée, dans leur assoupissement !

Elles sont à l’ombre, et vous les mettriez au soleil ; tout cimenterait, tout germerait, tout fructifierait. Je ne crains pas d’affirmer qu’en peu d’années votre peuple politique serait changé. Mais, me direz-vous, pourquoi ne l’exécutez-vous pas ? Parce que je n’ai pas le million à moi tout seul, parce qu’il n’y a pas, en ce temps-ci, en France, une idée qui pèse contre un écu. Que les bons citoyens trouvent un million, moi je me charge de trouver les hommes.

Ces hommes seraient, au fond, le véritable pouvoir moral de la nation, les administrateurs de la pensée publique, le concile permanent de la civilisation moderne : n’y a-t-il pas là de quoi tenter les nobles et ambitieux dévouements ? Oui, il y a aujourd’hui partout deux espèces de gouvernements : celui qui administre et celui qui règne. Celui qui règne, c’est celui qui pense : il est au-dessus du premier ; mais ce gouvernement de la pensée publique a besoin, comme l’autre, d’unité d’action et d’organes. Le journal populaire, ainsi conçu, serait le code de ce gouvernement par la pensée ; l’association en serait le budget et l’armée ; les premiers écrivains du siècle en seraient les ministres. Réfléchissez-y ; il y a en ce temps-ci quelque chose de plus beau que d’être ministre de la chambre ou de la couronne, c’est d’être ministre de l’opinion.