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une nuit. Cette mémoire est celle des choses extérieures. Mais, pour les attachements, les sentiments, les coups ou les contre-coups reçus une fois au cœur, je n’ai pas besoin de mémoire. Cela ne cesse pas de retentir en moi. Cela n’a pas été, cela est ; cela n’est pas un temps dans ma nature, tout y est présent. Une secousse donnée à ma faculté de sentir se perpétue, se répercute et se renouvelle à tout jamais sans s’affaiblir. Le balancier de mon souvenir, sans avoir besoin d’être remonté, a toujours la même oscillation. C’est cela qui m’a donné de bonne heure la conviction et comme la sensation de l’immatérialité de l’âme et de l’infini. Je suis sûr que je ne me tromperai pas d’une circonstance, pas d’un détail, pas d’un mot, pas d’un son de voix, en me rappelant aujourd’hui pour vous ma conversation avec Geneviève. Mais, d’abord, faisons son portrait. Cela est plus difficile, car les mots disent, mais le pinceau seul peint. Je n’ai qu’une langue et point de pinceau.


II


CONVERSATION AVEC GENEVIÈVE


Je passai quelques jours au presbytère de Bussières, après la mort et la sépulture de l’abbé Dumont, que j’ai nommé Jocelyn dans mes vers. J’avais à y remplir les devoirs bien tristes, mais bien faciles, d’exécuteur testamentaire, et même d’héritier, car le mourant m’avait chargé de payer ses petites dettes sur la terre pendant qu’il irait en recevoir l’intérêt au Ciel. Elles avaient toutes