Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/204

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les bords du calice après qu’il a bu le vin mystique ; puis elle se relevait comme en sursaut de sa chaise, jetait sur le bras le linge de la sacristie et allait rallumer le feu, écumer la marmite de terre du foyer, ouvrir la porte de la cour et regarder du côté de la sacristie pour voir si son maître ne revenait pas comme à l’ordinaire pour l’heure du repas. Le chien, qui sortait avec elle, allait en flairant jusqu’à la fosse fraîchement recouverte de terre. Il jetait deux ou trois hurlements au bord de la fosse pour éveiller son maître. Il revenait lentement, en s’arrêtant et en se retournant souvent, la tête basse, l’œil consterné, les oreilles dressées, l’une en avant, l’autre en arrière, comme étonné de ne pas ramener derrière lui quelqu’un qu’on attendait toujours. Geneviève alors appelait le chien, d’un accent de triste impatience, le faisait rentrer dans la cour, et remontait elle-même, les yeux rouges, l’escalier extérieur.

Pendant quelques minutes on n’entendait plus son pas dans la maison. Elle pleurait seule dans la cuisine, puis elle ressortait pour aller faucher de l’herbe à la chèvre. On eût dit qu’un esprit inquiet la chassait d’une place à l’autre comme pour chercher malgré elle quelque chose qu’elle ne trouvait plus nulle part. Oh ! Dieu seul connaît le vide que la disparition d’un solitaire creuse dans le cœur d’une pauvre femme, d’un seul ami, d’un chien, d’un oiseau, et dans le petit cercle qui l’environnait, son jardin et la nature même ! Pendant que personne ne se doute qu’il manque un souffle au monde, il manque l’air et la vie à deux ou trois êtres qui vivaient de l’être évanoui. Tout se tient dans ce ciment de vieilles et chères habitudes ; ôtez un grain de sable, le mur s’écroule ; le mur écroulé, que devient la mousse qui le drapait ? la mousse séchée, que deviennent le nid de l’insecte et la